OÙ VA MON YOGA

OÙ VA MON YOGA

Au début de cette d’année, j’avais passé le pacte suivant avec moi-même : 2019 serait mon année de jachère, de la mise au repos de mon âme et de mon corps. Le chantier du nouveau studio fin 2018, un de mes amis les plus chers face à un cancer soudain et brutal, ma fausse couche à Noël ; autant d’épreuves qui remuent, qui secouent, qui désaxent. Ces derniers mois de 2018 m’ont laissée sans la moindre goutte d’énergie, comme vidée de ma substance. Et ce que j’entrevoyais se profiler depuis quelques temps déjà s’est imposé finalement comme une évidence : cette nouvelle année serait celle de l’observation et non de l’action, celle durant laquelle j’allais regarder pousser les graines plantées pour Mirz depuis 2014 quand l’aventure du studio a commencé. Je décidais que je serais cette année le pendu du tarot ; cette carte qui montre une personne pendue par les pieds à une branche, la tête à l’envers, les bras croisés derrière le dos. Au premier coup d’œil cette carte fait penser à un piège ; la personne figée pendue par une corde. Elle symbolise en fait l’immobilité active : l’idée de rester immobile et calme pour mieux observer, comme une transition sereine, nécessaire et nourricière. LA JACHÈRE. Je me suis promise de ne pas me lancer dans trop de nouveaux / gros dossiers, idées, chantiers de vie, ce qui est pourtant mon truc préf’ (big up à tou.te.s mes sagittaires). Avec cela, j’ai décidé de donner moins de cours, pour tourner un temps l’énergie vers moi et me nourrir personnellement. En oui, comment offrir de l’énergie aux autres quand sa propre jauge est vidée ?

On est le 21 juillet 2019, et à l’heure où j’écris ces lignes, je suis à un peu plus de la moitié de ma jachère. Je note que ces derniers mois m’ont permis d’observer et de prendre du recul sur ma propre pratique et ma vision générale du yoga. Se confirme ce que je trouve juste et essentiel, se dessinent devant mes yeux les contours de ce que j’entrevois pour la suite de Mirz, pour mes engagements dans ce projet, pour ma pratique personnelle du Yoga.

Plusieurs choses m’apparaissent : je n’ai jamais été à l’aise avec la profusion d’images de postures censées promouvoir la pratique du Yoga (hiiii insta !). J’en ai joué le jeu pourtant, je me sentais obligée de passer par la démonstration visuelle de ma pratique pour lui donner du crédit vis-à-vis de mes élèves et pour me rassurer sur ma légitimité d’enseignante. J’en ai joué le jeu par peur de manquer également ; si je montre de jolies postures, impressionnantes, cela attirera les élèves et j’ai besoin que mes cours soient remplis pour pouvoir vivre financièrement de mon enseignement. Je me suis arrangée comme ça avec ma conscience, faisant une concession avec mon intuition profonde que cela ne m’allait pas vraiment. Montrer ainsi le « yoga », c’est, je crois, le réduire à sa simple dimension physique. Assortir ces belles images de citations philo de comptoir sans contexte ni relief, c’est le réduire à une quête individuelle et donc vaine du bonheur, comme injonction égocentrique et vide de sens. Il m’en faut plus. Plus de matière, plus de substance. Les mots de Maty Ezrati ci-dessous, enseignante respectée et pionnière du Yoga en Occident - décédée début juillet - résonnent en moi en ce sens. Elle a contribué à populariser aux US cette pratique ancestrale en l’adaptant à une audience plus mainstream et occidentale. Elle co-fonde en 1987 son premier studio YogaWorks, devenu depuis une énorme chaine de plus de 80 studios à travers le pays. Elle décide de revendre YogaWorks en 2004 tout en continuant à y dispenser son enseignement. Elle confiait récemment au magazine américain Yoga Journal en décembre dernier être inquiète de la tournure que prend la pratique au fil des années : « It disturbs me when I see people taking pictures of themselves doing yoga at the beach. It worries me. I could go outside right now - it’s beautiful here in Hawaii - and I could walk on my land and pretend that my life is perfect. But in reality, I’m human - and I have all kinds of things going on that are not perfect. I could use my environment to completely create something that’s not real and to hook people in a way that makes them feel like their life is not as good. It’s a fantasy, and that’s what worries me. Instead, people need to get off their asses and study yoga. (… ) We are losing a lot of people in yoga because we’re in the fitness realm now. (…) That doesn’t mean we can’t do some of the stuff that is popular now, but students have to understand there is more. » Par ici pour lire cet article tranché.

À mi-chemin de mon année de jachère, il m’apparaît important de (me) rappeler que le yoga n’est pas une gym, le yoga n’est pas un outil de développement personnel. Les piliers du Yoga nous enseignent à mieux fonctionner à titre personnel certes, mais dans un projet bien plus vaste que celui de notre petite personne. Les piliers du yoga nous enseignent à mieux fonctionner à titre personnel, pour pouvoir mieux être aux autres, pour qu’ensemble, nous trouvions l’harmonie, l’unicité, la paix. Sur un plan individuel, la pratique des postures permet de stimuler les différentes glandes de mon système hormonal, de me maintenir en bonne santé, de soulager mes tensions, de renforcer mes articulations, d’améliorer ma digestion. Avec les techniques du souffle, je peux moduler mon niveau d’énergie : calmer mon système nerveux quand c’est le stress, le booster quand je suis apathique. Globalement, toutes ces techniques physiques permettent à mon cerveau d’être mieux oxygéné et donc disposé à réfléchir, à continuer à me poser des questions, à me remettre en question, à rester réceptive, adaptable et curieuse. Il est évident que si le corps souffre, il devient compliqué de rester psychiquement disponible à la réflexion. Oui mais tout ça, dans quel but si ma pratique et ma réflexion restent autocentrée ? Pour me rendre plus heureuse, plus performante, moins stressée, plus souple ? Ces aspirations me permettent elles finalement véritablement d’accéder à une énergie plus consciente et d’opérer une transformation profonde ? Et cette conscience personnelle, a t-elle une raison d’être si elle n’est pas déployée vers l’extérieur, vers l’autre, vers l’environnement, vers la communauté, vers la société ?

La définition du Yoga qui me semble juste est de rendre notre monde plus intelligent, critique, alerte, bienveillant, interconnecté, en paix. Nous en avons tous besoin, à tous les niveaux. Pourquoi pratiquons nous le yoga ? Quelle est notre intention lorsque nous déroulons notre tapis au studio, chez nous ou ailleurs ? En dehors de la pratique sur le tapis, où infusons nous le yoga dans nos actions de tous les jours, dans nos idées, dans nos rapports à l’Autre, dans notre attitude vis-à-vis de nous-mêmes ?

Krishnamurti ci-dessus, célèbre théosophe indien, auteur et orateur majeur sur les sujets philosophiques et spirituels fondamentaux a pratiqué, sans en faire la démonstration publique, le yoga toute sa vie durant, notamment auprès des grands maîtres. Il pensait que : « Le soi disant Yoga, qui a cours en Occident et dans une partie de l’Inde orientale, a été inventé aux alentours du 17ème et 18ème siècles : des exercices en vue d’avoir un corps excellent, très sain, par la force et basé sur la discipline, le contrôle, afin d’activer une énergie soi-disant supérieure. Le vrai Yoga, le Yoga des Rois appelés Raja Yoga, consiste en revanche à vivre une vie hautement « morale », pas une « moralité » en fonction des circonstances, de la culture, mais une véritable activité éthique de vie : penser clairement et agir de manière « moralement » juste. Je ne rentrerais pas dans ce qu’il est convenu d’appeler bien et mal (Krishnamurti prône la non-dualité et de n'être sous le joug d'aucune forme d'autorité pour info). Pour autant que j’en comprenne, après tant de discussions avec un grand nombre de ces maîtres, il n’a jamais été question d’exercices physiques. Ils disent : exercez vous normalement, marchez, nagez, tout ça, mais ils mettent surtout l’accent sur un esprit qui est actif. Et le Yoga moderne - je ne vois pas pourquoi ils l’appellent comme ça - on ferait mieux de l’appeler exercice, mais cela ne vous plairait pas (rires) ! Vous pouvez pratiquer ce genre de yoga gymnique toute votre vie, vous n’éveillerez pas la compréhension spirituelle, ni que se manifeste l’éveil d’une énergie supérieure ». Krishnamurti soutient qu’au delà de la pratique physique, évidemment nécessaire pour rester en santé, c’est la réflexion, le questionnement, le sens critique qui permet de déconstruire nos conditionnements et d’accéder à une énergie où le « moi » n’est plus. Dès lors se met en place une toute autre forme d’énergie, libre, apte à garder l’esprit dispo, jeune, vivant, prêt à vivre en harmonie et en intelligence avec le grand tout. Je vous invite à lire ici ce recueil d’interventions éclairantes de Krishnamurti au sujet du Yoga (bonus vidéo à la fois sérieuse et golri qui accompagne ses textes).

Depuis sa création, j’ai voulu Mirz comme un genre de laboratoire d’expérimentation de la conscience, en parallèle du planning des cours hebdomadaire. D’un côté la pratique sur le tapis comme routine d’hygiène - comme on se brosserait les dents - pour rester bien dans son corps et dans sa tête, et puis les ateliers et les évènements périphériques du yoga ; hypnose, chamanisme, rituels divers, tarot etc. comme différents points d’accès à l’expansion de la conscience, comme des espaces dans lesquels questionner, nous interroger, échanger, se soutenir, individuellement mais surtout ensemble. Au delà d’une école de Yoga, je vois davantage Mirz comme un genre de Community Center que l’on pourrait trouver aux US : un lieu dans lequel on puisse se retrouver pour davantage d’unicité, pour réfléchir et apprendre à vivre intelligemment tous ensemble.

Dans cette idée que le yoga nous enseigne que l’on fait partie d’un grand tout, que nous sommes tous interconnectés, que chacune de nos actions comptent, nous proposerons à partir de la rentrée encore plus de RDV pour ce labo d’expérimentation de la conscience, en complément de l’aspect physique de la pratique que sont les cours hebdomadaires (et d’ailleurs j’ai eu des gros gros crush profs ces derniers mois, qui vont nous rejoindre dans l’équipe pour des nouveaux cours dès septembre !). Avec Laurelene Chambovet, Yoga Doula qui accompagnent les femmes dans leur grossesse & postpartum depuis plusieurs années, nous travaillons sur un programme engagé de grossesse consciente : comment se faire suivre dans la bienveillance et avoir accès à une information positive et constructive pour les grossesses et naissances, en réponse aux violences médicales subits par les femmes durant cette période de leur vie. Le programme permettra également aux futurs et jeunes parents d’accompagner leur petit via des outils d’éveil et d’intelligence émotionnelle ludiques : hypnose prénatale, chant prénatal ou encore langage des signes avec les enfants.

Depuis 2 ans, chaque mois nous nous réunissons entre femmes au studio avec Vanina Grisoni, professeure de Yoga, autour des cercles de nouvelle lune. L’occasion de libérer la parole, de soutenir, de se recentrer. Ces cercles continueront, car ils sont importants. Il me paraît également urgent de réintégrer la donnée du masculin dans ce projet de cercles et de discussions. Nous baignons depuis plusieurs années dans les questions du genre, de la salutaire remise en question du patriarcat qui nuit autant aux hommes qu'aux femmes, des multiples abus et violences sexuelles restées en silence pendant trop longtemps, de nouveaux formats de couples qui cherchent à se réinventer, d'un féminisme multi-facettes qui se développe. Il semblerait que le rapport entre les hommes et les femmes soit au cœur de nos préoccupations et au travers de questions-réponses sous forme de cercles de parole mixtes animés par Angelo Foley, thérapeute et conférencier, ces ateliers seront l’occasion d'ouvrir un nouveau dialogue.

Victoire Kalamarides, qui est la personne que je connaisse qui le lit le plus de livres par semaine, animera dès la rentrée un nouveau RDV, le Yoga Book Club. L'occasion de nourrir la pratique au delà du tapis, par les mots et les métaphores, de se laisser inspirer par ses dernières trouvailles littéraires yogiques, cosmiques, poétiques et d’en discuter, tous ensemble, pour mieux intégrer ces idées dans notre pratique physique.

Vous l’aurez compris, je me contrefiche que vous montiez sur la tête, que vous fassiez le grand écart ou que vous arriviez à toucher vos orteils debout sans plier les genoux. Pratiquons simplement pour rester en santé, afin que l’on se sente suffisamment bien dans nos corps pour avoir toute notre tête, fraîche et disponible pour rendre ce monde meilleur et conscient. Soyons acteurs ensemble de cette 3ème Révolution. Après la Révolution agricole puis industrielle, place à la Révolution Humaine : « The Great Turning » comme la désigne en ces termes l’activiste Joanna Macy, militante écologiste, autrice, et spécialiste du bouddhisme : « It’s been called the Ecological Revolution, the Sustainability Revolution, even the Necessary Revolution. We call it the Great Turning and see it as the essential adventure of our time. It involves the transition from a doomed economy of industrial growth to a life-sustaining society committed to the recovery of our world. This transition is already well under way

Avant de plonger dans la jachère de ma jachère (inception de jachère booom !), à savoir la summer vacancia, je vous souhaite à toutes et à tous un bel été, rechargeant, nourrissant, délicieux. On se retrouve à partir du 26 août, les cœurs chargés de soleil, d’amour et d’idées !

LOVE <3

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